Militantisme et engagement des jeunes à l’ère du numérique

Aujourd’hui, seul 2% de personnes jeunes de moins de 30 ans sont adhérentes d’une structure pour militer et s’engager. Les jeunes générations semblent bouder les espaces d’engagements traditionnels que sont les partis ou les syndicats. Même si les jeunes semblent moins disposés à s’inscrire dans les démarches d’engagement adoptées par les générations précédentes, il est difficile d’affirmer qu’ils sont par conséquent moins militants, moins investis ou moins engagés. Les évènements de mobilisation contre par exemple le projet de loi travail, montrent bien que la jeunesse est tout aussi intéressée, impliquée que ses ainés mais que leurs actions se structurent hors des modèles dominants construits et cadenassés par les adultes.

Qui sont les jeunes qui s’engagent ? Comment s’engagent ils ? Où s’engagent ils ?

Le propos ci dessous s’inscrit dans la continuité d’une pratique professionnelle de plusieurs années dans le champ de l’éducation populaire et de développement de projets avec et pour la jeunesse.

De par cette pratique, nous avons pu constater que les dispositifs restent des cadres qui ne favorisent pas toujours la mise en capacité et la montée en compétences des jeunes qui les intègrent. De plus, face à l’accroissement de dispositifs qui cherchent à répondre à des situations anxiogènes, comme un marché de l’emploi en difficulté, les jeunes actifs en recherche d’insertion professionelle doivent entrer dans un processus qui ne permet pas expérimentation, prise de conscience et élaboration d’un projet porteur de sens pour eux. Bien souvent les professionnels de l’accompagnement, se trouvent dans la situation de devoir sélectionner un public en fonction de critères pré-définis notamment par les financeurs.  Cela implique donc, pour les jeunes qui pourraient en bénéficier, d’avoir des pré-dispositions qui leur permettent d’être immédiatement motivés, en capacité de décoder rapidement les différentes informations qui leur seront transmises afin de sortir de situations sociales ou économique malaisées.

Les dispositifs permettent à des structures d’obtenir des financements pour réaliser ces actions. Toutefois les modalités exigent que l’action d’accompagnement soit exécutée dans un délai précis qui ne correspond pas toujours aux réalités de terrain. En effet, accompagner la jeunesse dans un projet qu’il soit individuel ou collectif n’est pas aisé et peut être intimement liés à la notion d’engagement. Dans les différents discours, il est courant d’entendre que les jeunes semblent manquer de motivation et d’engagement dans la construction d’un projet professionnel, personnel ou d’orientation alors que toutes les conditions semblent réunies. Cette approche par le dispositif et la prédominance d’une activité qui tend à être ordonnée par les aspects de gestion, d’administration et d’organisation concerne une grande partie des organisations oeuvrant auprès d’un public jeune. Et ce, que le champ d’intervention concerne le loisir, l’emploi, la mobilité européenne ou l’engagement politique.

Ce dénominateur commun est quotidiennement mis en évidence dans nos pratiques. Force est de constater que bien que de nombreux professionnels et structures se revendiquent de l’éducation populaire, l’héritage politique premier, celui qui vise à interroger  la nature du lien social qui compose la collectivité nationale et les moyens démocratiques à penser, créer pour aider tous les citoyens à se saisir de leurs droits et de leurs devoirs dans la société, s’est au fur et à mesure dilué dans et par ce que Boltanski et Ciapello nomment le « nouvel esprit du capitalisme ». L’éducation populaire peine à remplir son rôle d’éducation par tous et pour tous, et semble connaitre une crise qui fait qu’elle tend à ne plus être un espace propice à l’apprentissage et notamment d’apprentissage de l’engagement.

A cela s’ajoute des discours récurrents liés à un désintérêt, une apathie supposée de la part de cette catégorie sociale assez floue qu’est la jeunesse. Discours qui peuvent à la fois, cacher l’impuissance de professionnels aux prises avec des nécessité économiques de fonctionnement, dont le travail est de plus en plus envahi par des tâches administratives liées à la recherche de financements pour réaliser des actions et pérenniser leur propre emploi, et la complexité des nouvelles formes d’engagement qui semblent leur échapper.   D’autre part, ce contexte, sous tend une obligation de réussite pour les jeunes inscrits dans ces démarches de recherche d’engagement dans des cadres prédéfinis. Ainsi les tâtonnements, les expérimentations, l’analyse des échecs et des réussites peuvent difficilement faire partie des possibles offerts.

Cette représentation de la jeunesse renvoie à des archétypes de références très particuliers. Ces modèles de références sont des représentations qui coexistent, s’interpénètrent ou se régulent. Alors, est il peut être nécessaire de s’interroger, collectivement mais également individuellement sur la façon dont nous considérons ce pan important de la population.

Avons-nous une représentation qui tient les jeunes à l’écart de la vie de la cité, en les enfermant dans des dispositifs, freinant ainsi toute indépendance ?

C’est ce qui semble être le cas avec cette approche par le dispositif. Le cadre est pré-construit, pré-structuré afin de les faire abonder dans le sens de la société construite par des adultes, pour des adultes.

Cette vision domine les représentations actuelles arguant un déficit d’engagement de la jeunesse dans son propre avenir. S’interroger sur l’engagement des jeunes parait être essentiel et enjeu systématique de nombreuses échéances électorales. Les structures habituelles d’engagement (syndicats, partis …) sont désertées par les jeunes générations. Mais cela n’est certainement pas le reflet d’un déficit d’intérêt, ni l’expression d’un individualisme montant. Aussi, est il important en tant que professionnels de l’éducation, militants associatifs, de s’intéresser au processus qui amène les changements de comportement et de perspective pour l’individu dans le fait de s’engager, en prenant en compte notamment toutes les nouvelles formes d’engagement notamment numériques.

Car il s’agit également de questionner ces éventuelles mutations en tant que lieu d’apprentissage des pratiques de citoyenneté. Quoiqu’on en dise, pense, ces formes numériques sont espaces d’engagement, revendicatifs et animés par une vision de changement de la société. L’action politique y est présente, la démarche y est réflexive et critique. L’engagement y est entier mais contrairement à ce que I’on notait dans les structures traditionnelles, il n’est pas voué à une seule cause, un syndicat ou un parti.

Dans ces nouveaux espaces d’engagement numérique deux termes existent et structurent les actions : de l’éducation tout autant que du populaire.

Traditionnellement et historiquement L’éducation populaire, était dite « de gauche ». La construction de ce mouvement, philosophique, militant et politique pouvait alors être aussi interprétée à travers le conflit gauche /droite. Mais qu’en est il aujourd’hui ? En effet, nous entrons actuellement dans une ère où les clivages partisans ne sont plus les bases de fonctionnement de la vie politique. Les frontières entre les mouvements de gauche et de droite se sont peu à peu effacées. Alors comment se sont repensé ces nouveaux espaces d’engagement politique numériques ?

Ils interrogent, effraient peut être, mais à l’injonction d’engagement ne peut être solution. Elle ne trouve pas d’écho favorable malgré le développement massif de campagne de communication en direction de la jeunesse (engagement dans des dispositifs citoyens comme le service civique, campagne d’appel au vote etc…). Pourquoi ? Est-ce que cela traduit une crise de l’engagement et la montée d’un individualisme prononcé chez les jeunes générations ? Un désintérêt pour le collectif tant au niveau local, national ou international ? Qu’est ce que cela exprime ?

Voici ce que nous nous proposons d’explorer dans ce nouveau travail d’expertise citoyenne.

Sophia Idayassine

Pierre Khattou

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